Quel est le „dharma” de Lakshmi Mittal ?

LE MONDE ECONOMIE | 21.01.2013 à 11h29 • Mis à jour le 25.01.2013 à 15h16 Par Philippe Lukacs, Ecole centrale de Paris

 

 

Lakshmi Mittal, président et directeur exécutif d'ArcelorMittal. 

Aujourd’hui, nous nous plaignons que Mittal n’ait pas respecté ses promesses de maintien de l’activité des hauts-fourneaux de Florange. En réalité, dès l’OPA de Mittal sur Arcelor, toutes les informations qui nous auraient permis de relativiser ces promesses étaient à notre disposition. Mais nous n’avons tenu compte que des discours qui étaient prononcés devant nous et des chiffres inscrits sur les contrats. Nous aurions gagné à ouvrir notre regard plus largement.

Lakshmi Mittal s’est présenté à nous comme un homme parti de rien et qui, seul, a construit un empire sidérurgique : une formidable „success story”. Nous nous sommes laissés éblouir par ce discours. Nous sommes partis de l’a priori qu’un Indien se construit de la même façon qu’un Européen. Ethnocentriques, nous n’avons pas vu qu’une famille indienne, et en particulier hindoue, fonctionne traditionnellement dans le respect d’une trajectoire familiale spécifique.

Une très rapide recherche sur la famille Mittal nous aurait permis de voir que, de longue date, il s’agit d’une famille commerçante, particulièrement riche et puissante. Non seulement l’histoire de la „success story” de Lakshmi Mittal ne nous aurait pas éblouis, mais cela aurait pu nous inciter à relativiserd’autres histoires qui nous étaient contées.

Nous avons considéré qu’un Indien et un Européen sont guidés dans la vie par les mêmes valeurs universelles. Nous n’avons pas vu que, en réalité, les valeurs qui, dans la culture indienne, guident un hindou, les obligations qu’il doit respecter, sont relatives à sa caste spécifique.

COMMUNAUTÉ D’INTÉRÊTS

Le dharma de chaque hindou, c’est-à-dire ce qu’il doit accomplir pour réussir sa vie, diffère selon la caste à laquelle il appartient. Nous n’avons pas accordé attention au fait que la famille Mittal fait partie de cet ensemble de lignées toutes originaires du Rajasthan et que l’on appelle Marwari.

Elles constituent une communauté d’intérêts (même si elles peuvent être concurrentes entre elles) que défend leur journal bimensuel Marwar – Magazine for the Marwari Community, facilement lisible sur Internet. Ce sont des lignées de commerçants et de prêteurs.

Leur dharma, leur devoir, leur „vocation”, est de s’enrichir. Quels que soient les moyens utilisés. Ce sont eux qui, en Inde, prêtent à des taux particulièrement usuraires et sont, à juste titre, la terreur des paysans. Un petit nombre d’entre elles (les Birla et Jindal, avec les Mittal) contrôlent trois des cinq majors steel companies (grandes entreprises sidérurgiques), une grande partie de l’industrie manufacturière et du commerce du thé et des textiles.

Le bien commun, le respect des contrats n’est en aucune façon dans leur dharma. Pour information, la famille Tata, qui est à la tête du groupe homonyme, fait partie de la communauté des Parsi, qui ont d’autres codes de conduite, et la gouvernance de leurs entreprises est donc toute autre. Eussions-nous prêté quelque attention à cela que nous n’aurions probablement pas accordé le même poids aux promesses qui nous étaient faites…

ELARGIR NOTRE REGARD

Le cas Mittal n’est qu’un exemple particulièrement illustratif. Dans tous les cas et avec tout partenaire potentiel, nous gagnons à être attentifs à la culture de l’autre, au but ultime qu’il poursuit dans sa vie, à regarder au-delà des seuls chiffres et de l’immédiatement visible. Pas uniquement pour éviter des désillusions : l’ignorance des autres n’est pas un pur luxe intellectuel, elle peut souvent se payer très cher. Mais aussi et surtout pour mieux réussir ensemble des innovations pertinentes.

Si j’écris „nous” et non pas „les responsables concernés”, c’est parce que le mode de fonctionnement étroit qui a mené aux déboires de Florange est partagé et qu’il est à l’oeuvre dans bien d’autres situations que la seule affaire Mittal. Il nous appartient, à nous tous, et pas seulement à quelques responsables, de tirer pleinement les leçons du „cas” Mittal. (…)